Maurice : nouveaux riches et nouveaux pauvres

01/01/2000 12:00

Miracle pour les uns, mirage pour les autres. L'île Maurice, citée depuis vingt ans comme un modèle de développement économique, découvre brutalement ses inégalités sociales et la pauvreté. Qui à Maurice aurait pu imaginer cela il y a quelques années ! A Port-Louis, en face de la Mairie, vient d'ouvrir un bureau pour abriter le projet "Anou Diboute Ensam" ou "Comment sortir de la pauvreté". Il est financé par l'Union Européenne à hauteur de 100 millions de roupies (environ, 25,6 millions de FF) pour venir en aide aux Mauriciens. Il y a encore quelques années on ne parlait que de plein-emploi ; l'économie tournait à merveille et le coût de la vie était pas aussi élevé. L'île apparaissait alors comme un modèle de développement économique à exporter dans cette région de l'Océan indien et en Afrique. Les émeutes de février dernier ont brutalement remis en perspective le miracle mauricien et mis en lumière une pauvreté comme le pays n'en a jamais connue depuis l'indépendance en 1968.
Ricardo Carré, 42 ans, père de trois enfants et chômeur, habite le village de Bambous dans l'ouest de l'île. Il "squatte" un terrain de l'Etat à l'arrière du cimetière sur lequel lui et sa famille vivent dans des conditions lamentables entre quatre tôles rouillées accrochées les unes aux autres. "J'ai d'énormes difficultés à vivre et à faire vivre ma famille. Je ne sais quoi faire. On m'a dit de venir voir les gens à ce bureau. Peut-être pourront-ils me sortir de la misère ?", déclare-t-il, interrogé alors qu'il attend son tour pour être reçu par les préposés. Depuis l'ouverture de ce bureau, ils sont des centaines comme lui à descendre chaque jour sur la capitale dans l'espoir de trouver qui du travail qui une quelconque aide financière. Les plus fragiles, surtout dans les faubourgs de la capitale et les régions pauvres des côtes est et ouest, sombrent dans la drogue, l'alcoolisme et la prostitution.

Le travail ne paie plus.

La vie est devenue aussi plus difficile pour la grande majorité des Mauriciens, travailleurs agricoles, ouvriers du secteur manufacturier ou petits salariés de l'Etat qui ne gagnent pas plus de 3500 roupies mensuellement (875 FF). Ils sont enfermés dans la spirale du surendettement. Alors pour arrondir leurs fins de mois, ils font de petits boulots, à droite et à gauche, après leur travail. "Autrefois, une seule personne travaillait dans la famille et tout le monde - qu'importe le nombre de membres - mangeait à sa faim. Aujourd'hui, tout le monde travaille mais personne ne mange bien. Beaucoup de familles dépendent de quatre cinq salaires ajoutés ensemble pour joindre les deux bouts", explique Alain Ah-Vee, un des responsables du Mouvement Lalit, qui milite en faveur de ces défavorisés.
Une étude micro-sociologique, effectuée cette année sur ces zones de précarité par l'Ong, United Way, met en évidence l'ampleur de cette pauvreté liée à la baisse du pouvoir d'achat des Mauriciens parallèlement à l'apparition de nouveaux besoins. Une frange de la population que l'étude qualifie de "nouveaux pauvres" ne parvient plus à suivre le développement économique.
Ses auteurs s'étonnent de l'importance des dettes alimentaires auprès des commerçants et autres boutiquiers. Des dettes dont les gens n'arrivent jamais entièrement à se libérer. Les dépenses pour les loisirs ont été supprimées et, quand cela ne suffisait pas, le budget pour l'éducation des enfants a été rogné.
Trouver un logement, un emploi, se soigner, se nourrir même de manière élémentaire est devenu un combat quotidien pour beaucoup. "Cette situation, explique M. Ah-Vee, a été favorisée par le développement à deux vitesses prônée par les gouvernements successifs depuis les années 80." Et, ajoute Jean-Clément Cangy, journaliste et observateur de la société mauricienne, avant même que n'éclatent les émeutes de février dernier, il était clair que l'écart s'était creusé entre ceux qui ont su profiter des possibilités nouvelles offertes par le décollage économique des années 80 et les autres.
Pour lui, la stratégie mauricienne du développement est en faillite totale. Elle ne cesse d'amplifier le chômage, l'exclusion, les frustrations, l'insécurité et le rejet de nombreux enfants dans la rue même si la propagande politique a tendance depuis quelques années à nier ces réalités. Le Premier ministre reconnaît toutefois que tous n'ont pas profité du développement économique de l'île. La question de la protection sociale cherche encore une réponse adéquate.
Certains rendent la globalisation de l'économie responsable de cette situation. Les observateurs appellent de plus en plus à une révision de la politique économique du pays afin de juguler la pauvreté en cette période de croissance sans emploi. Ces inégalités font planer sur l'île la menace d'une nouvelle explosion sociale plus violente que celle de février dernier.

 

par Nasseem Ackbarally 

 

(Syfia Maurice)